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JULIETTE BENZONI

LE COLLIER SACRE DE MONTEZUMA

Plon

 Alied-Beatrice du Bois Van der Poele

Ma chere amie belge

Qui a voue sa vie a la culture

Et a la distraction de ses compatriotes

PROLOGUE

TENOCHTITLAN-MEXICO 1521

Eclairee par les feux des derniers incendies que refletait l’eau noire des canaux empuantis de cadavres, la nuit d’ete etait sinistre, lourde, etouffante meme a l’altitude de ce haut plateau. Partout les ruines de ce qui avait ete des palais ou de riches demeures, effondrees sur les fleurs et les senteurs des jardins disparus ; partout du sang ; partout la douleur et la mort ! Seuls restaient debout, de part et d’autre d’une large esplanade, le palais de l’empereur et le grand teocali, la pyramide au sommet de laquelle le feu sacre brulait encore pres de la pierre des sacrifices. La etait le sanctuaire de Uitzilopochtli, le dieu supreme representant le soleil a son zenith. Ses pretres en tuniques noires s’y pressaient autour de l’autel couvert de sang seche. Epouvantes par l’enormite du sacrilege, ils se taisaient, se contentant de contempler la scene affreuse qui se deroulait en bas, au pied des marches du palais obscur garde par quelques sentinelles. Devant la masse confuse du peuple survivant, le conquistador Hernan Cortes faisait torturer par le feu le jeune empereur Cuauhtemoc. Pour la plus vile des raisons : le contraindre a faire livrer l’endroit ou Montezuma, son beau-pere, avait enfoui la majeure partie de son tresor. Un tresor dont on avait eu un avant-gout quelques mois plus tot, quand, apres la mort sans gloire de Montezuma, Cuauhtemoc et le peuple revolte avaient chasse vers la cote les Espagnols, tellement alourdis par leurs pillages que nombre d’entre eux s’etaient noyes dans les canaux ou dans la lagune, tires au fond par leur charge d’or.

Depuis, ils etaient revenus, mais cette fois la ville qui les avait accueillis jadis avec des presents et des fleurs leur avait ferme ses portes. Il avait fallu assieger – siege singulierement rude. Le jeune empereur avait oppose une defense farouche et malheur aux prisonniers qui tombaient entre ses mains ! Ils finissaient sur la pierre des sacrifices, la poitrine ouverte et le c?ur arrache pour etre offert tout fumant a Uitzilopochtli, apres quoi les corps degringolaient jusqu’en bas du teocali, cependant que les tetes allaient orner les raides degres de la pyramide…

Maintenant c’etait lui le captif, le beau guerrier aux armes d’or et d’obsidienne que l’on reconnaissait dans les combats a son cimier fait des plus belles plumes vertes de l’oiseau quetzal, et, apres avoir feint de le recevoir avec les honneurs dus a son rang et a sa vaillance, Cortes venait de le livrer a ses bourreaux.

Un autre subissait le meme sort : son cousin, le roi de Tlacopan, l’une des cites vassales naguere posees comme autant de fleurs aux berges de l’immense lagune bleue de l’Anahuac dont Tenochtitlan-Mexico etait souveraine. Celui-la etait age, malade et, sous la morsure des flammes, il hurlait, gemissait, pleurait mais sa voix usee allait s’affaiblissant. Ignorant tout du tresor de Montezuma, il n’avait pas grand-chose a avouer, sinon la cachette de sa propre fortune, mais on ne l’entendit pas longtemps. Son c?ur lacha, ne laissant plus aux tourmenteurs qu’une depouille inerte… L’odeur de chair brulee etait suffocante !

Cuauhtemoc, lui, ne criait pas. Ses dents serrees ne laissaient pas echapper la moindre plainte tandis que l’on plongeait ses jambes dans le feu. Seules, les gouttes de sueur coulant sur son beau visage devenu gris trahissaient sa souffrance…

A trois reprises deja, on l’avait remis dans les flammes puis retire et chaque fois deux hommes se penchaient sur lui : un moine qui l’adjurait de renoncer aux biens terrestres pour se tourner vers la misericorde d’un dieu qu’il n’avait jamais voulu connaitre et l’autre, un certain Julian de Alderte, qui etait le tresorier royal et ne cessait de poser sa question, toujours la meme :

— Ou est le tresor ? Ou est le tresor ? Ou est le tresor ?

Mais Cuauhtemoc ne repondait pas. Comme le supplice allait reprendre, il cracha au visage d’Alderte.

— Brule donc, imbecile ! eructa celui-ci en lui allongeant un coup de pied.

— Ne recommence pas ou crains ma colere ! gronda Cortes debout, a quelques pas, encadre d’une dizaine de ses officiers en cuirasse comme lui.

En depit de l’uniformite de leurs tenues, il se distinguait d’eux par une prestance qui le designait comme le chef de tous. Grand, brun, mince, etrangement pale au milieu de ces figures cuites par le soleil, il avait de larges epaules et des bras longs. On le sentait doue d’une force peu commune et bien qu’il n’eut guere plus de trente ans, il donnait une impression de maturite. Enfin, une balafre mal dissimulee par sa barbe lui coupait la levre inferieure et le menton. Il suscitait instinctivement l’admiration et c’etait la, sans doute, le secret de cet hidalgo qui, avec seulement une poignee d’hommes, avait su asservir un empire… Qu’il fut egoiste et sans scrupules ne changeait rien a son charme. On lui obeissait de bon c?ur, tout en sachant parfaitement que l’on n’etait pour lui qu’un instrument… C’etait le cas de Malinali, la belle et noble Mexicaine offerte en hommage a Cortes par les gens de Tabasco. Intelligente, cultivee, elle s’etait revelee une aide precieuse que tous avaient su reconnaitre. Baptisee Marina, elle etait devenue « Dona » Marina car il ne serait venu a l’esprit de personne, fut-ce le plus bas truand, de lui manquer de respect. Elle etait la voix du chef, sa traductrice et, surtout, elle l’aimait…

Elle n’etait jamais loin de lui. Sauf peut-etre cette nuit ou elle n’avait pas cache sa desapprobation.

Le feu ayant faibli, on y remit du bois avant d’y ramener le supplicie, quand soudain un cri eclata, a la fois strident et desespere :

— Non !…

En meme temps, une femme jaillissait du palais ou les sentinelles surprises n’avaient su la retenir et se jetait a genoux devant Cortes qui eut un mouvement de recul. Elle etait toute jeune en verite – quatorze ou quinze ans peut-etre ! – et d’une beaute rare en depit de la douleur et des larmes qui deformaient son visage. De haut rang aussi, sa longue jupe et son uipili (1)etaient brodes de fines plumes bleues et de fils d’or – bien que sans le moindre bijou. Repliee sur elle-meme, la tete a la hauteur des bottes de l’Espagnol, elle repeta le mot a plusieurs reprises. C’etait sans doute le seul qu’elle connut dans la langue des envahisseurs puis, toujours courbee, elle y ajouta en nahuatl une phrase suppliante que, naturellement, il ne comprit pas.

— Elle te supplie d’epargner son epoux qu’elle ne peut supporter de voir souffrir…

Dona Marina venait de se materialiser aupres de Cortes et se penchait sur la jeune forme prostree que secouaient les sanglots, essayant de la redresser.

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