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— C’est l’une de ses femmes ?

— Elle est l’unique et c’est aussi la fille de Montezuma qui l’aimait beaucoup. A dix ans, elle a ete mariee a son oncle, qui aurait du succeder a l’empereur, mais le mariage n’avait pas ete consomme parce qu’elle n’etait pas pubere. Ton noble prisonnier l’a aimee et, pour l’avoir, il a tue le vieux mari. Comme tu peux t’en rendre compte, elle l’aime aussi…

Relevant la tete, la jeune femme parla de nouveau. On put voir qu’elle serrait contre sa poitrine un objet entoure d’un tissu sombre.

— Que dit-elle ?

— Elle t’implore d’epargner l’empereur et t’offre en echange ce qui a ete le plus grand tresor de son pere et le talisman dont il ne se separait jamais. Quand il a compris que tu etais l’homme envoye par les dieux et qu’il ne pouvait te combattre, il le lui a offert au moment de son mariage avec Cuauhtemoc afin qu’il lui apporte le bonheur.

— On dirait qu’il n’a guere de pouvoir ? ricana le conquistador.

— Tu te trompes. C’est parce qu’elle vivait avec lui un amour absolu qu’elle te l’apporte en echange de sa vie ! Parce que sans lui…

— Voyons cela !

Dona Marina prit le paquet de tissu et en sortit une cassette d’or qui, ouverte, revela un vrai tresor en effet. La lumiere d’une torche fit scintiller les cinq plus belles emeraudes que l’on eut jamais vues. De la taille d’un abricot et d’une eau verte sans defaut, elles etaient ciselees avec un art admirable. L’une en forme de rose, une autre en forme de cloche avec une grosse perle en guise de battant, une troisieme en forme de poisson, la quatrieme en forme d’etoile et la derniere representant une coupe, avec un rebord en or. Entre chacune d’elles alternaient des feuillages d’or ou de minuscules perles figuraient la rosee. La beaute du joyau coupa le souffle aux Espagnols quand, avec un respect infini, Dona Marina le prit entre ses mains et l’eleva tandis qu’elle s’agenouillait comme si elle en faisait hommage a la nuit.

— C’est une merveille ! murmura Cortes en l’enlevant a la jeune femme tandis que son ?il sombre s’illuminait. Il ne ressemble a aucun des bijoux que nous ayons trouves ici…

Le tresorier royal se precipitait deja pour s’en emparer, en disant qu’il le reclamait au nom de l’empereur Charles, seul digne de posseder un objet aussi rare, mais Dona Marina l’escamota sous son nez pour le remettre dans sa cassette.

— C’est surtout un objet sacre que seules des mains pures peuvent toucher. Ce sont les emeraudes de Quetzalcoatl. Nul ne sait si elles sont son ?uvre ou si le dieu les avait apportees avec lui. Dans notre langue, d’ailleurs, emeraude se dit quetzalitzli.

Les yeux allumes, Alderte voulut passer outre mais, brutalement, Cortes lui ordonna de se tenir tranquille :

— Si elles doivent aller a notre empereur, c’est a moi qu’appartient l’honneur de les lui remettre !

— De toute facon, grogna Alderte, cela ne saurait constituer la totalite du tresor de Montezuma ! Active ton feu, bourreau ! Nous allons reprendre…

— Non. C’est termine. Pour ce soir, du moins… Ce ne sera peut-etre plus necessaire. En menacant cette femme de bruler son epoux a petit feu, on aura une chance qu’elle nous indique ou est le reste.

Cependant, la petite princesse s’etait trainee sur les genoux jusqu’a Cuauhtemoc devant lequel elle etait a present prosternee, murmurant d’incomprehensibles paroles au milieu de ses sanglots. De toute evidence, elle implorait son pardon. Suivi de Marina, Cortes s’approcha. Le visage de granit aux yeux clos du jeune empereur ressemblait a un gisant de cathedrale mais, soudain, il s’anima :

— Tu as obtenu d’une faible femme ce que tu n’aurais jamais obtenu de moi. Mais ne te rejouis pas. Un crime t’a mis en possession des pierres sacrees. Avant toi, l’empire d’Anahuac etait heureux et puissant. A toi et a ceux qui s’en empareront par force, les emeraudes de Quetzalcoatl n’apporteront desormais que la ruine et la mort. Au nom de tous les miens, je les maudis et te maudis avec elles… Seul le retour aux dieux pourrait faire cesser la malediction. A present, ecartez-vous ! Je veux parler a Tahena.

On lui obeit et, pendant de breves minutes, ils purent s’entretenir a voix basse mais c’etait surtout Cuauhtemoc qui parlait. Penchee sur lui, Tahena ne pleurait plus. Elle avait pris la main de son epoux et la tenait appuyee sur ses levres et si jamais visage avait exprime l’amour, c’etait bien le sien. Celui de Cuauhtemoc fut empreint un instant d’une etrange douceur. Puis il referma les yeux et reprit son immobilite de statue tandis que Dona Marina emmenait la jeune femme dont les larmes coulaient encore sur un visage que maintenant une lumiere interieure pacifiait…

Quelques jours plus tard, apres avoir demande en vain de mourir sur la pierre des sacrifices, son c?ur arrache offert au dieu solaire, le jeune empereur etait vilainement pendu a la face de son peuple… Tahena vite baptisee Isabel etait donnee en mariage a un familier de Cortes qui la convoitait. Quant au tresor de Montezuma, son pere, il fut enfin retrouve dans le petit lac du palais ou sa fille avait connu un court bonheur…

PREMIERE PARTIE

CINQ SIECLES PLUS TARD…

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UN BEAU MARIAGE

La basilique Sainte-Clotilde, rue Las-Cases, n’etait pas – et de loin – la plus reussie de Paris. Un assez mauvais pastiche du style ogival tardif, batie par Ballu sur les instances de la reine Marie-Amelie qui, si elle avait pose la premiere pierre, ne devait jamais voir sceller la derniere en 1857. Cette eglise avait un petit quelque chose d’a la fois frivole et protocolaire du, sans doute, a ce qu’elle etait l’une des plus mondaines de la capitale, battant d’une courte tete ses voisines, Saint-Germain-des-Pres et Saint-Sulpice, ainsi que la Madeleine, Saint-Philippe-du-Roule ou Saint-Honore-d’Eylau, la cathedrale Notre-Dame se situant naturellement au-dessus de la melee. Pour ceux que l’on y enterrait, c’etait le dernier salon ou l’on cause, et pour ceux que l’on y unissait, l’antichambre d’une existence de faste et d’elegance. Elle voisinait avec l’Archeveche et ses organistes, de Cesar Franck a Charles Tournemire, etaient de ceux que l’on ecoute avec devotion.

Ce matin d’hiver, Sainte-Clotilde avait revetu ses atours de fete en l’honneur d’un grand mariage. Un dais blanc protegeait les marches d’entree et le tapis rouge coulait jusqu’au ruisseau.

Peu avant midi, de longues voitures brillantes deverserent aux pieds de deux suisses rouge et or, coiffes de bicornes a plumes et armes de lourdes hallebardes, belles dames et messieurs rivalisant d’elegance. Un festival de fourrures precieuses, de robes de couturiers en vogue, de jaquettes coupees par des artistes, de chapeaux huit-reflets et de bijoux plus ou moins vrais peut-etre mais tous magnifiques. On se saluait, on echangeait paroles et sourires avant d’entrer avec solennite dans l’eglise brasillant de mille cierges allumes et fleurie comme pour la Fete-Dieu. Ce mariage etait l’evenement de ce mois de fevrier et y assister representait une sorte de privilege, les invites ayant ete tries sur le volet, donc moins nombreux qu’on ne s’y attendait. D’ou un agreable sentiment d’importance. Sous le dais, un maitre de ceremonie se faisait montrer les invitations. Quant a la presse, elle etait parquee avec le menu peuple derriere les grilles protegeant la facade de l’eglise. Il faisait un froid de gueux mais l’air etait sec et un soleil palot faisait ce qu’il pouvait.

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