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— Eh bien, murmura Adalbert a l’intention d’Aldo, la messe est dite ! Il serait peut-etre temps de prendre la parole ? C’est a toi qu’il incombe de presenter des excuses ! C’est toi, le temoin…

— Tu as l’habitude de faire des conferences. Moi pas ! Tu devrais t’en charger… et je ne vois pas l’autre temoin.

C’etait exact : la place de Richard Bailey, pres de Marie-Angeline, etait vide. Adalbert s’avanca au bord des marches :

— Mesdames et Messieurs, ce qui vient de se produire et dont vous venez d’etre spectateurs nous plonge non seulement dans un extreme embarras mais aussi dans l’inquietude. Meme ceux d’entre vous qui connaissent peu Gilles Vauxbrun ne peuvent ignorer ses qualites d’exactitude et de courtoisie. Pour qu’il ne soit pas parmi nous en ce jour qu’il considerait comme le plus beau de sa vie, il faut qu’un grave empechement se soit produit…

A ce point de son discours, l’abbe Mauger le rejoignit et le relaya :

— Dans une circonstance tellement inhabituelle, voire inquietante, je voudrais vous proposer ceci : vous etes venus dans cette eglise prier pour le bonheur d’un couple ami et, avant de nous separer, je vous propose d’entendre au moins une messe basse. Nos amis ici presents sont inquiets et je serais desole que vous vous separiez sans que nous ayons prie ensemble et demande a Dieu que cette meme circonstance n’ait pas de consequences trop graves, mais je n’en voudrai pas a ceux qui preferent se retirer… Bien entendu il n’y aura pas de sermon.

— C’est une bonne idee, Monsieur le cure, dit la marquise. Je vous remercie au nom des miens.

Tandis que le pretre retournait dans la sacristie pour effectuer quelques changements, la « famille » de l’absent put constater que l’eglise se vidait aux trois quarts. Montrant, semblait-il, une certaine hate, on quittait sa place, on faisait une vague genuflexion en se signant et on gagnait la sortie aussi vite que l’on pouvait.

— Pas beaucoup d’amis dans le tas, commenta Adalbert. Je suis sur qu’il en serait reste beaucoup plus si l’on avait ajoute que le dejeuner prevu suivrait !

Avec satisfaction, Aldo et lui noterent que le « clan » des Versaillais tenait bon. Ils etaient six au total : le general de Vernois et son epouse, le couple Olivier et Clothilde de Malden, Mme de La Begassiere et lady Mendl, bien que celle-ci ne soit pas de confession catholique. Ils resterent sagement a leur place. Mme de Sommieres posa sa main sur le bras de sa lectrice :

— Plan-Crepin, dites a Lucien d’aller a la maison et de prevenir Eulalie que nous serons dix a table. Ces courageux ne meritent pas qu’on les renvoie dans leurs foyers le ventre vide…

Marie-Angeline partit comme une fleche tandis qu’Aldo, Adalbert et Tante Amelie quittaient le ch?ur pour s’installer avec ceux que l’on pouvait vraiment appeler les « fideles ». L’instant suivant, l’office commencait et l’on se leva a la nouvelle entree du pretre qui n’avait pas garde d’enfants de ch?ur. Ce fut une messe pleine de ferveur et d’emotion. L’organiste avait renvoye les choristes mais resta a l’orgue avec Bach et Mozart pour l’accompagner en sourdine.

Chose etrange, ce fut la pieuse Marie-Angeline, l’habituee de l’office de six heures a Saint-Augustin, qui suivit avec le plus de distraction : elle retirait puis remettait ses gants, cherchait son mouchoir ou son missel, levait la tete pour examiner la voute, bref s’agita tant et si bien que Mme de Sommieres la fusilla du regard en murmurant :

— Tenez-vous tranquille, Plan-Crepin ! Qu’est-ce qui vous prend ?

— On perd du temps !

— La dignite n’est jamais du temps perdu ! Priez, que diable ! C’est vous, la specialiste !

— Je n’y arrive pas !

L’ ite missa estla precipita vers le porche tandis qu’Aldo et la marquise remettaient une genereuse offrande au pretre en compensation d’une quete qui aurait du etre fructueuse, apres quoi tout le monde se retrouva dans la rue ou la marquise renouvela son invitation. Elle fut acceptee avec un plaisir d’autant plus vif qu’on allait se retrouver entre amis au c?ur du probleme et apprendre les dernieres nouvelles.

— Ne m’attendez pas pour commencer a dejeuner, dit Aldo. Il faut que quelqu’un previenne chez Vauxbrun. Adalbert va m’emmener.

A cet instant, Richard Bailey reparut. Il s’etait rendu au magasin pour voir s’il s’etait passe quelque chose mais il n’en etait rien. Tout etait bien ferme et l’interieur etait en ordre. On le convia aussitot a dejeuner rue Alfred-de-Vigny et l’on se separa.

Rue de Lille, d’ou avaient disparu les voitures de livraison du traiteur, une surprise attendait Aldo et Adalbert.

Celui-ci n’avait pas encore serre ses freins que le maitre d’hotel accourait, visiblement dans tous ses etats :

— Ah, Messieurs, je suis tellement heureux que vous soyez revenus. Je ne sais plus a quel saint me vouer et vous arrivez a point nomme !

— Calmez-vous, Servon ! fit Aldo en s’efforcant a une tranquillite qu’il etait loin d’eprouver. On va certainement retrouver tres vite M. Vauxbrun…

— Je l’espere sincerement, Excellence ! Parce qu’ils sont venus s’installer il y a deja un moment !

— Qui ca, « ils » ?

— Mais… la fiancee de Monsieur et sa famille. Ils sont en train de dejeuner et…

— Quoi ?

Un meme mouvement fit sortir de leurs sieges les occupants de la petite Amilcar qui se ruerent a l’interieur de l’hotel ou il leur fallut se rendre a l’evidence : assis autour d’une table ronde dressee dans le salon donnant sur le jardin les – trois ! – Mexicains en etaient au homard Thermidor… Aldo en fut tellement suffoque qu’il lanca sans y penser :

— Bon appetit, Messieurs !

Entendant Adalbert glousser derriere lui, Aldo se rendit compte de ce qu’il venait de dire mais ne jugea pas utile de rectifier. Deja Don Pedro etait debout et, sans lacher sa serviette, foncait sur eux :

— Que voulez-vous ? Qu’auriez-vous a objecter a notre legitime presence en ces lieux ?

— Legitime ? Je crains que vous ne connaissiez pas la signification de ce mot. Vous etes chez Gilles Vauxbrun, regrettablement absent pour le moment. Ce qui ne saurait durer !

— J’admets votre surprise encore que je vous eusse cru plus au fait de la loi francaise. Depuis hier, ma niece est Mme Gilles Vauxbrun le plus legalement du monde. Nous sommes donc ici chez elle autant que chez lui. Ce qui nous fait un devoir, etant donne les circonstances, de rester aupres d’elle afin de la soutenir. Elle est trop jeune et trop fragile pour affronter la solitude d’une maison etrangere. Quoi qu’il en soit, nous devions nous installer ici pendant le voyage de noces en Egypte et mon fils Miguel est alle au Ritz pour regler la note et reprendre nos bagages. Cela nous evite les curiosites malsaines et, dans cette maison, entouree des siens, ma niece supportera mieux une epreuve…

— … qui n’a pas l’air de lui couper l’appetit ? remarqua Adalbert. Ne devrait-elle pas etre morte d’inquietude, en larmes et livree aux soins d’une femme de chambre armee de sels et d’eau de Cologne ? Cela se fait quand on aime quelqu’un…

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